Julie FRIOT
Culottes

"Culottes" - Venise, Italie, Février 2019.
Antonietta lave ses culottes chaque samedi.
Depuis toujours, le samedi, c’est jour de lessive.
Antonietta a gardé cette habitude. Il ne lui viendrait pas à l’idée de changer une tradition immuable.
Bien sûr, au fil des années, la corvée est devenue moins pénible.
Antonietta ne fait plus bouillir le linge dans une grande lessiveuse au-dessus du feu. Elle n’utilise plus de la cendre. Elle a une machine à laver moderne et même de la lessive en capsules qu’il suffit de jeter dans le tambour. Elle trouve ça si pratique.
Elle se souvient, dans un sourire nostalgique, de son Nino, suant, soufflant et pestant pour monter, leur première machine à laver sur le dos, les quelques marches de l’escalier étroit menant à la petite cuisine de leur appartement vénitien, son frère Guido la soutenant derrière lui pour alléger la charge.
Bien des choses ont changé en 87 printemps mais ni le jour de lessive ni le modèle des culottes que porte Antonietta.
Elle ne comprend pas cette mode des… Comment on appelle ça déjà ? Sting ? Strange ? … Strings. Voilà, c’est ça ! Quelle drôle d’idée de se mettre une ficelle entre les fesses, pense-t-elle. Quel inconfort ça doit être. Rien que d’y penser, elle secoue la tête, marquant sa désapprobation.
Alors que franchement, une bonne culotte blanche en coton taille maxi, il n’y a rien de mieux. Ça cache bien tout ce qu’il faut, ça remonte jusqu’au-dessus du nombril, c’est quasiment inusable, ça peut se tremper dans la javel, se faire bouillir et même se raccommoder au pire, tiens.
Voilà ce que pense Antonietta en accrochant ses culottes, toutes identiques, sur le fil à linge devant sa fenêtre.
Puis son esprit dérive.
Sans raison apparente, elle se met à penser à la mer, aux sorties en voilier qu’elle faisait les dimanches de beau temps, avec son père, quand elle était gamine.
Elle lui semble voir le tissu du foc se tendre sous l’effet de l’air. Comme si elle l’avait sous les yeux.
Tiens, c’est drôle, elle croit même entendre le claquement de la grand-voile sous le coup des rafales.
Ainsi rêve Antonietta, les jours de vent, quand elle étend ses culottes.