top of page
  • Photo du rédacteurJulie FRIOT

La claudication photographique du mercredi (#13)

Non, vous ne rêvez pas, c'est bien moi.


En chair et en os.


Et en plaques et en vis aussi.


Vous n'avez quand même pas cru que je m'étais liquéfiée doucement dans le fond d'eau croupie dans lequel je baignais la dernière fois que je vous ai donné des nouvelles ? Ne laissant plus, comme souvenir de mon passage sur terre, qu'une légère odeur d'urine émanant d'une combinaison néoprène vide, abandonnée sur un brancard ? (cf. précédent post ici)


Non ? Tant mieux.


De mon côté, je dois bien l'avouer, après 5h d'attente dans un recoin désert des urgences du CHU, j'avais commencé à croire sérieusement à ce scénario.


Je suis finalement ressortie de là, 48h petites (longues en vrai) heures plus tard, bon œil.


Il me manquait toutefois la partie bon pied.


Bon pied, bon œil.

Même si cette expression n'a pas été expressément créée pour décrire les qualités d'un photographe de rue, elle aurait largement pu.


Et quand il te manque soudainement la moitié des items, ça devient vraiment compliqué de s'adonner à sa passion. Si j'osais, je dirais même que c'est franchement pas le pied, même si cette vanne est très mauvaise j'en conviens.


Suivirent 8 semaines avec un plâtre et interdiction formelle d'appui.

Comme un aperçu de nos vieux jours, D. me baladait régulièrement dans le quartier en fauteuil roulant.


Puis de longs mois de rééducation pour réapprendre à marcher. D'abord avec deux béquilles, puis une, puis plus, puis re-une parce que 3km de marche le premier jour sans béquille c'était pas une bonne idée, puis re-plus mais en boitant, puis (enfin) sans boiter.


Pendant ce temps-là, pas simple de faire des photos.


En fauteuil d'abord, faut s'adapter à une hauteur de vue un peu particulière (en contre-plongée) et aboyer rapidement des ordres à son pilote quand on repère un truc à photographier. Autant dire qu'en général, c'est déjà trop tard, la scène n'existe plus. D'ailleurs je n'ai même pas essayé. Mon pilote de fauteuil étant également mon aide-ménager, mon aide-cuisinier, mon chauffeur de voiture, mon livreur de courses, je me suis dit, assistant-photographe, ça risque de faire trop, y a même plus de place pour ajouter une ligne dans la fiche de poste. Et en plus, c'est du bénévolat. Faut pas pousser.


Avec les béquilles ensuite. Bon, déjà se déplacer avec l'appareil photo autour du cou en plus des béquilles, la galère. Mais en plus, quand on repère un truc, faut poser (ou jeter au choix) les béquilles au sol, se redresser, cadrer...Bref, même problème qu'avec le fauteuil, c'est déjà trop tard, la scène n'existe plus.


Avec une seule béquille, ça devient un peu plus simple. Même si il faut apprendre à manipuler son appareil photo d'une seule main. Et qu'il faut oublier tout autre possibilité de cadrage que celle à hauteur d'homme (moi qui aimais tant me mettre accroupie au milieu de la rue pour changer de point de vue. Pour de vrai. Le ridicule ne tue pas, deuxième adage du photographe de rue).


Aujourd'hui les sensations reviennent peu à peu même si je galère encore sur les changements de rythme (quand on voit quelque chose d'intéressant quelques mètres plus loin et qu'il faut accélérer le pas pour ne pas louper une scène) et que le périmètre de marche reste encore restreint par rapport à avant mon accident.


Toujours est-il que, vous l'avez compris, je n'ai que très peu photographié ces 7 derniers mois. J'ai été forcée de lever le pied (attendez, attendez, c'est que la deuxième que je place. J'aimerais vous y voir, vous. Allez taper sur Google "expressions avec le mot pied", y en a plein, c'est chaud de se retenir)


Vous n'aurez donc pas d'images de la course de relais solidaire organisée à Annecy à laquelle participait un de nos amis que nous avions donc, tout naturellement, décidé d'aller encourager le long du parcours.

Solidaire la course, car les bénéfices sont reversés à des associations d'aide aux personnes souffrant de handicaps physiques et mentaux.

Nous étions donc tranquillement installés, D., mon fauteuil roulant et moi à donner de la voix lors du passage des coureurs pour les soutenir dans l'effort. Jusqu'au moment où une coureuse me sourit après que je l'ai applaudi et me lance d'une voix forte "Merci ! on court pour vous !". Pas de selfie non plus de ma tête quand j'ai compris qu'apparemment mon handicap ne semblait pas que physique au commun des mortels. J'ai ravalé ma bave aux coins des lèvres, et mon amour-propre également, et j'ai gentiment demandé à D. mon chauffeur -livreur - cuisinier - aide-soignant - personne de compagnie de me ramener à la maison.


Vous n'aurez pas non plus de photo de la belle piscine de balnéo au centre de rééducation, dans laquelle je faisais figure de toute jeune personne à côté des Maurice, Huguette, Raymond ou autre Monique. Il n'y aura pas d'images de leurs visages inquiets le jour où ils se sont aperçus que le système de filtration d'eau et de jets massants de la piscine ne fonctionnait pas et que cela risquait d'obliger la kiné à fermer le bassin et annuler la séance. Pas de selfie de ma tête quand je me suis souvenue avoir eu une petite perte d'équilibre quelques minutes plus tôt dans le vestiaire et m'être rattrapée d'une main sur le mur. Ou plutôt sur le gros bouton rouge situé sur le même mur. Celui au-dessus duquel était sûrement écrit un truc du genre : "Système Arrêt Piscine - Ne pas toucher". Enfin je suppose, j'ai pas regardé moi, j'essayais juste de pas tomber.


Toutefois, je vous propose tout de même une petite sélection des rares photos de rue que j'ai prises depuis juillet dernier.

Pour le plaisir comme dirait Herbert Léonard.

Et aussi parce que j'allais quand même pas vous lâcher comme ça.


A bientôt au détour d'une rue !


J.

Votre dévouée rapporteuse d'images qui repart enfin du bon pied (jamais deux sans trois).


La grande traversée de Nathan Paulin

(lac d'Annecy, juillet 2022, photo prise au smartphone depuis mon fauteuil roulant)


Procession & Twins

(Vatican et Rome, octobre 2022, photos prises respectivement assise sur un plot pour la première et depuis une terrasse de café pour la deuxième, pendant la période où j'avais encore deux béquilles)


Orange baiser, la mémoire de nos pairs, coup de pompes & laser game

(Berlin, novembre 2022, plus qu'une béquille, je peux à nouveau photographier debout mais d'une seule main d'où la mise au point parfois approximative...)


Ce que je cache

(Marseille, décembre 2022, sans béquille mais en claudiquant pas mal. Je fatigue vite, je ne suis pas assez vive, je fais mes réglages à l'arrache et ai du mal à stabiliser mon appareil… Frustration quand tu nous tiens…)


Retraite & Au café de la poste

(Annecy, janvier 2023, dans la manif contre la réforme des retraites, je marche enfin sans béquilles, mon appareil photo autour du cou… Je suis presque entièrement rétablie, va vite falloir se remettre au boulot et cotiser pour une retraite bien méritée à 67, 70, 77, 83 ans, bref à bosser jusqu'à ce que mort s'en suive apparemment !)


Faire entendre nos voix

(Février 2023, Annecy, encore un peu de manif et reprise des concerts. Du bruit et de la fureur. De la solidarité, de la rébellion et du garage rock aussi, parce que ça fait du bien.

Adieu béquilles et fauteuil, c'est reparti pour les pogos, enfin peut-être pas tout de suite, tout de suite, je vais attendre encore un peu !)









40 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page