Julie FRIOT
Le complot
Mi-mars 2020.
« Ils » ont pris place autour de la grande table ovale au centre de la pièce aveugle.
L’éclairage artificiel durcissait leurs traits, déjà tendus par l’importance de la mission.
D’un geste synchrone, « ils » ont humectés leurs cigares et les ont allumés, tirant la première bouffée avec une satisfaction visible.
L’un d’entre eux a pris la parole :
- L’heure est grave. Vous allez voir que tous ces connards vont trouver des bénéfices au fait d’être cloîtrés chez eux. Ils vont en profiter pour lever le pied, dessiner, écrire, lire, se cultiver, prendre du temps en famille, consommer mieux (ou pire, moins !), cuisiner, rêver … Bref, toutes ces inepties de beatniks à la con ! Il faut trouver quelque chose pour éviter ça ! Qu’ils restent insatisfaits, bordel, c’est la BASE. Manquerait plus qu’on se retrouve avec un peuple heureux…
« Ils » se sont tus un moment. Puis les idées ont fusé.
- On pourrait limiter les sorties à 5 km autour du domicile ?
- Oui, on pourrait aussi les limiter dans le temps.
- 5 km, c’est trop. Je dirais plutôt 1 km max.
- Et 1h ! 1 km et 1h, MAXIMUM !
- Et on leur interdit de s’asseoir sur les bancs !
- Et l'accès des parcs, jardins et forêts !
- Et de faire du vélo !
« Ils » se sont dit que c’était pas mal.
Mais il manquait encore quelque chose.
La cerise sur le gâteau.
Le sel sur la plaie béante.
- Oh, et si on leur mettait la plus belle météo de printemps qu’ils aient eu depuis longtemps ?
« Ils » ont sorti la carte de France. Repoussé les nuages aux frontières (oui, comme avec celui de Tchernobyl en 1986), collé de grands soleils de partout, soufflé sur le thermomètre pour atteindre une température estivale et allongé les jours pour donner envie de vacances et d’évasion.
« Si avec ça, ils n’ont pas les boules… » ont-« ils » conclu.
Et évidemment, « comme par hasard » (mais qui peut croire à ça ?), mi-mai, lors du déconfinement, les températures ont chuté et la pluie est revenue.
Fin octobre 2020.
L’heure du confinement numéro 2 est arrivée.
« Ils » se sont à nouveau réunis. Même endroit, même heure, mêmes cigares.
Soudain, l’un d’eux a balancé :
- « On » leur ferai pas le coup de l’été indien ?
« Ils » ont tous éclaté d’un rire gras.
Les salauds.
Mais « on » ne me la fait pas à moi. Je sais bien qu’il existe ce complot météorologique mondial et je n’hésiterai pas à le dénoncer, absence de preuves à l’appui !