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  • Photo du rédacteurJulie FRIOT

Le drôle d'avent

Brigitte adoooore Noël.


Dès la fin de ses 3 sacro-saintes semaines de vacances estivales _ c’est-à-dire dès le 1er août, Brigitte étant une juilletiste convaincue_ Brigitte ne vit plus que pour la prochaine échéance : Noël.


La canicule sévit toujours, des auréoles de transpirations marquent encore son débardeur au niveau des aisselles, que Brigitte, regard dans le vide, commence déjà à faire des listes mentales. Listes de cadeaux, de décorations de table et de sapin, d’invités, de menus… Elle ne vit plus que dans l’attente de ce moment de bonheur ineffable.


Brigitte ne s’étonne pas de recevoir des catalogues de Noël dans sa boîte aux lettres dès mi-octobre. Elle les attendait, même. D’ailleurs elle s’empresse de les feuilleter, cornant avec soin les pages qui retiennent son attention.


Il fait encore beau et doux, c’est l’été indien, mais Brigitte ne rêve déjà plus que de longues nuits d’hiver et de paysages enneigés.


Brigitte traverse l’automne sans le voir.


Dès le début du mois de novembre, elle trépigne, voudrait son sapin et son calendrier de l’avent, là, tout de suite, maintenant.


Elle patiente tant bien que mal, à coup de chants et de téléfilms de Noël, sans montrer aucun signe d’écœurement face cette overdose de bons sentiments et voix sirupeuses.


Robert, son mari, lui, souffre en silence. 35 ans que ça dure. Si seulement il n’avait pas rencontré Brigitte un mois de janvier…. En quelques mois, il a eu le temps de s’attacher et quand il a découvert qu’elle faisait partie des noëlistes intégristes, il était déjà trop tard, il n’avait plus le courage de la quitter.


Il soupire et part acheter un calendrier de l’avent à sa femme. Elle a menacé de le quitter pour Jean-Luc, leur bellâtre de voisin, mitoyen par le garage, s’il oubliait à nouveau de lui offrir un calendrier de l’avent.


En 2004, il avait commis une terrible erreur. Elle l’avait regardé fixement, le 30 novembre, en plissant les yeux. Quand il avait réalisé son oubli, il avait couru acheter un calendrier de l’avent (il en avait même pris deux, tentant de se rattraper) mais trop tard, elle lui avait fait la gueule, jusqu’au 25 décembre.


1er décembre 2020. Brigitte ouvre la première case de son calendrier de l’avent. Se délecte de son microgramme de chocolat bon marché comme si c’était du caviar haut de gamme, en regardant clignoter son sapin, des étoiles plein les yeux.


Elle a glissé le CD de Mariah Carey dans la chaîne Hifi. All I Want For Christmas Is You.


Robert est à deux doigts de se trancher les veines avec son emballage de papillote.


Ce soir, ils regarderont « un bébé pour Noël » sur TF1. Un téléfilm à ne pas manquer selon Brigitte.


Plus que 24 jours avant Noël se disent-ils. Pas pour les mêmes raisons.



Marie-Noëlle, elle, déteste Noël. Peut-être rapport à son prénom.


Oui vraiment, elle abhorre cette soirée obligatoire en famille, assise pendant des plombes à attendre la fin du supplice, dans la même tenue de soirée et devant le même repas que l’année précédente (à quel moment quelqu’un a décrété que le gratin de cardons était un plat de fête ?), coincée entre tonton Roger qui enchaîne les blagues racistes et mémé Huguette, fraîchement sortie de l’EHPAD pour l’occasion, qui fait claquer son dentier sur les toasts aux œufs de lompe.


Marie-No pensera tout bas : profite, va, petite mémé, fait claquer ton dentier pendant qu’il est encore temps, demain à la même heure, tu n’auras plus rien à mâcher, tu seras à nouveau face à ton repas mixé-lisse servi à 18h pétantes dans la salle commune de l’EHPAD des lilas, climatisée depuis 2003. Mémé, ton temps de liberté est compté, fallait pas commettre l’impardonnable crime, celui qui consiste à devenir vieux et dépendant.


Chaque année, Marie-No prend la résolution d’envoyer péter les conventions et de décliner l’invitation en avouant une bonne fois pour toute que, non vraiment, elle n’aime pas Noël et préfère rester toute seule chez elle en pyjama devant un bon film et un sandwich rillettes-cornichons arrosé d’un bon corbières à 2.59 euros de chez Lidl… Et puis finalement, le courage lui manque et elle respecte la tradition (non sans regret quand se met à résonner l’attendu CLAC CLAC du dentier de mémé…), se convaincant qu’elle le fait pour ses neveux qui croient encore au père noël parce que Noël quand même, c’est la fête des enfants…


Contrairement à Brigitte, Marie-Noëlle, elle, a donc pleinement profité de l’automne. Elle en a même oublié l’arrivée imminente des fêtes de fin d’année, sans doute un réflexe de protection de son inconscient.


C’est pour cela qu’elle se retrouve mi-décembre, à quelques jours de l’échéance, à s’arracher les cheveux pour trouver des idées de cadeaux pour chacun des convives (plus cons que vifs se fait-elle la réflexion chaque année).


Alors… Le foulard, c’est déjà fait, la boîte de chocolats aussi, la bouteille de vin, n’en parlons pas… Ah tiens, et si elle lui prenait ce bouquin ? « Mille et une recettes autour du poisson »… Impeccable ! Et puis ça lui fera pas de mal à sa sœur Martine de bouffer autre chose que des pizzas... Bon, ça c’est fait. Plus que quinze personnes...


Elle suçote des Lexomil en essayant de ne pas penser à ce moment de torture que représente l’ouverture dédits cadeaux et à la performance d’acteur qu’il requiert. Essayer de faire semblant d’avoir rêvé toute sa vie d’acquérir enfin ce (meeeeerde, j’ai acheté le même pour Martine) livre « mille et une recettes autour du poisson » alors que, putain, elle n’a jamais pu blairer ça ! Elle ne cuisine même pas d’ailleurs mais ça, apparemment, sa cousine Jocelyne l’ignore…


1er décembre 2020. A contre-cœur, Marie-Noëlle a remonté son faux sapin de la cave. Tout ça pour le redescendre dans 4 semaines avec encore des épines en moins parce que le chat aura passé ses journées à grimper dedans et à tout niquer sur son passage, et ses nuits à jouer au foot avec une boule décrochée d’une branche basse. Ceux qui ont des chats savent… Les autres aiment encore les sapins de Noël… Ainsi pense Marie-No.

Mais elle n’a pas le choix, son mari Jean-Luc n’est pas christmassophobe, lui. Il aurait mieux fait d’épouser Brigitte, leur voisine mitoyenne par le garage, la groupie du père noël comme la surnomme Marie-Noëlle, en regardant clignoter la maison voisine, devenue le summum du kitsch et l’avenir des actionnaires d’EDF en quelques heures à peine.


Marie-No rêve d’aller planter un panneau dans le jardin de Brigitte et Robert. Epileptiques s’abstenir. Ce serait drôle (et un vrai message de santé publique en plus) mais elle n’ose pas.


Encore 24 jours se dit-elle en soupirant.



Manu 1er prendra-t-il fait et cause pour les noëlistes en autorisant les déplacements pour les fêtes ? Ou au contraire, permettra-t-il aux christmassophobes de réaliser enfin leur inaccessible rêve : qu’on leur foute la paix pour Noël ? Le suspense reste entier…


Brigitte et Marie-Noëlle retiennent leur souffle.


Mémé Huguette, elle, a bien compris que cette année, quoiqu’il arrive, ce sera bûche mixée à l’EHPAD des lilas.

Elle aurait peut-être dû leur dire à sa famille, qu’elle ne craint plus la mort depuis longtemps et qu’au contraire elle l’attend. Ils ne comprendront décidément jamais rien, ces cons.

Finalement, c’est pas plus mal de fêter ça avec les copains de la team déambulateurs. Ils feront un concert de dentiers jusqu’à couvrir le son de « jingle bells » qu’ils ne peuvent plus blairer depuis que l’animatrice leur a passé tous les jours lors des temps d’activité du mois décembre, pendant qu’ils traçaient d’une main tremblante sur une banderole destinée à orner le hall d’entrée « LES LILAS VOUS SOUHAITENT DE JOYEUSEUSES FÊTES » (ils ont rajouté des lettres à joyeuses pour que chacun en ai une à écrire sinon ça aurait été bagarre générale, c’est sûr)…


Il se trouve donc, quelque part en France, quelques rares français qui s’en tapent bien le coquillard de savoir ce que décidera Manu 1er dans les jours à venir et qui sont bien décidés à mettre le feu à l’EHPAD des lilas pour le réveillon et ce au moins jusqu’à 20h.


La team déambulateurs ne se laissera pas gâcher une occasion de déroger au morne quotidien des lilas, qu’on se le dise !

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