Julie FRIOT
Lettre d'excuse à Christophe Maé
Mon cher Christophe,
Je te prie d’excuser ce ton familier mais, après tout, tu fais un peu partie de la famille…
Attends, je vais essayer de t’expliquer depuis le début.
Oui, car je me doute bien que, de là d’où tu es, en train de me lire, tu te grattes la tête en essayant désespérément de remettre qui je suis… Alors, je t’informe de suite pour t’éviter de vaines recherches dans les méandres de tes cellules grises, nous ne nous sommes jamais vus, tu ne me connais absolument pas.
Mais voilà, pendant toute la durée du confinement version 1, pendant ces 55 (putains) de jours, j’ai tenu un journal que j’ai partagé quotidiennement avec mes proches.
Un article par jour, sans faute (pas sans faute d’orthographe malheureusement).
Je t’avouerai, le résultat final est un peu foutraque, on trouve de tous les styles selon les jours et l’humeur mais, comme un nouveau parent face à son nouveau-né au strabisme prononcé, à l’acné du nourrisson florissante, à la peau jaunie par l’ictère et au crâne déformé par les spatules (oui ça fait beaucoup pour un seul être humain mais si tu as des enfants, Christophe, tu sais que je n’exagère pas), on ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de fierté même si on sait, au fond, qu’il ne ressemble à rien…
Tu ne vois toujours pas le rapport n’est-ce pas ?
Le rapport, mon cher Christophe, c’est que tu es un des personnages récurrents d’ «A 3 en quarantaine dans 63m2, journal intimiste » (c’était le titre du chef d’œuvre attendu impatiemment chaque jour par des milliers de lecteurs avides).
Je dois t’avouer que le ton adopté étant, en règle générale, pas mal (voire énormément) ironique, mes personnages récurrents avaient plutôt vocation à être tournés en ridicule.
A force d’articles, tu es devenu à toi tout seul, dans mon esprit et sous ma plume, le parangon de la variété française bas de gamme destinée à un public de masse peu enclin à l’éclectisme culturel.
Oui, je sais, ça fait beaucoup pour un seul homme. Un peu comme les nouveau-nés, tu as pris cher (Pas la chanteuse… quoique ta vie sexuelle ne me regarde pas).
Et oui, je sais également que ce choix était totalement arbitraire. D’autres auraient tout aussi bien convenu pour le rôle.
Si ça peut te mettre du baume au cœur, tu n’as pas été mon unique cible, loin de là… Il y a eu aussi les conseils lifestyle de Psychologie Magazine, l’application Méditer avec Petit Bambou, Manu 1er notre cher président, Edouardo Second (même si appelé premier au niveau des ministres) et l’ensemble de mes voisins _ qui eux, ignorent toujours être une source d’inspiration majeure de ma vie confinée (ils ignorent mon existence tout court même pour la plupart).
Après, j’espère que tu auras l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que tu as un peu cherché aussi, à force de nous beugler « Il est où le bonheur, il est oùùùùùùùùùùùùùùùù ? » à longueur de journée. Pendant que Vianney, lui, était occupé à te chercher toi, apparemment : « Mais t'es pas là, mais t'es où? Mais t'es pas là, mais t'es où? » alors que Julien Doré, lui, pensait l’avoir trouvé ce putain de bonheur « sur la plage coco câline, sur la plage coco ».
Bref, vous avez mis un sacré bordel, la prochaine fois, appelez-vous directement au lieu d’écrire des chansons, ce sera plus simple pour tout le monde.
Et ce n’est pas pour être mauvaise langue mais je tiens aussi à te faire remarquer que plus tu cherches le bonheur, plus l’actualité part en couilles, alors je te le demande gentiment : arrête s’il te plaît.
Bref, je reconnais avoir copieusement utilisé ton personnage public pendant 55 jours, pour essayer de faire marrer la galerie (exception faite des 3 fans de toi que j’avais dans mon lectorat et qui, depuis, ne répondent plus à mes appels) et je ne comptais absolument pas m’excuser pour cela jusqu’à ce que…
Oui, voilà, j’avoue : je suis tombée sur ton dernier clip l'autre soir à la télé et je l’ai regardé en entier.
Je ne sais pas si c’est le sujet abordé, la voix de Youssou N’Dour pendant les refrains, les chœurs, les images mais toujours est-il que je n’ai ni grimacé ni même balancé une vanne sur toi. C’est assez rare pour être souligné.
Je dois dire que, sans aller jusqu’à aimer la chanson, j’ai même été émue.
Bon faut dire, dès qu’on parle de changement climatique, moi, ça me mets toujours dans une drôle d’humeur, avec un fort sentiment d’impuissance et une grosse envie de pleurer. Ça me fait pareil avec le terrorisme, Donald Trump et la pandémie de COVID, c’est te dire si en ce moment, je suis d’une drôle d’humeur !
Alors, bien sûr, Christophe, toi et moi, on sait bien que je ne serai jamais ta plus grande fan (la place étant déjà prise dans mon cœur depuis 1990, par Francis Cabrel) mais voilà, je voulais te le dire, je t’ai peut-être jugé un peu vite.
Pour le confinement numéro 3, promis, je choisis Julien Doré comme personnage récurrent.